VINGT-QUATRE
SILENCIEUX ET MAUSSADES, LAUREL ET TAMANI TRAVERSÈRENT le portail. Ils furent accueillis par l’habituelle brigade de sentinelles. Shar s’avança et lança un regard furieux à Laurel, tout en s’adressant à Tamani.
— Nous avons un visiteur.
— Des trolls ?
Tamani se raidit et repoussa Laurel vers le portail scintillant.
— Laurel, retourne à Avalon.
Shar roula les yeux.
— Pas des trolls, Tam. Penses-tu que nous vous aurions permis de passer si des trolls vous attendaient ?
Tamani soupira et laissa ses mains retomber.
— Bien sûr que non, je n’ai pas réfléchi.
— C’est le garçon humain. Celui qui se trouvait ici l’automne dernier.
— David ? demanda Laurel d’une voix faible.
Comment l’avait-il su ?
Shar acquiesça d’un signe tête alors que Tamani serrait les mâchoires.
— Je vais la ramener à lui, déclara Tamani en s’avançant. Où est-il ?
— Il garde ses distances, les informa Shar en esquissant un geste vague de la tête. Près de la maison.
— Je reviens, annonça Tamani, enroulant sa main autour du bras de Laurel et la tirant en direction de la maisonnette de bois.
Dès qu’ils furent hors de vue du portail, il lâcha son bras.
— Je veux lui parler, dit Tamani à voix basse.
— Non ! s’exclama Laurel. Tu ne peux pas.
— Je veux savoir ce qu’il fait pour contribuer à ta sécurité, reprit Tamani sans croiser son regard. C’est tout.
— Absolument pas, rétorqua Laurel à travers ses dents serrées.
— Qu’es-tu prête à sacrifier pour David ? demanda Tamani, exaspéré. Moi, de toute évidence. Mais quoi d’autre ? Ta vie ? La vie de tes parents ? Même la vie de David, afin que je n’intervienne pas comme un obstacle dans ta petite amourette ? Je souhaite seulement lui parler.
— Tu veux l’intimider. Menacer sa position. Je te connais, Tamani.
— Aussi bien m’en occuper puisqu’il est ici, gronda Tamani en regardant au bout du sentier.
— Je ne lui ai pas demandé de venir, déclara Laurel, ignorant exactement pourquoi elle se sentait obligée de se justifier.
Tamani garda le silence.
— Il ne devrait pas avoir déjà quitté le travail. Il ne devrait même pas savoir que je suis ici.
Tamani s’arrêta brusquement et pivota.
— Tu lui as menti ?
Son visage était inexpressif.
— Je…
— Tu lui as menti afin de pouvoir me voir ? Tamani rit.
— Tu as menti pour moi. Je me sens spécial.
Sa voix était tranchante et dure, mais il y avait une trace d’autre chose aussi. De la reconnaissance. De la satisfaction.
Laurel se moqua de lui en s’éloignant.
— Ne pense pas cela ; ce n’était pas pour toi.
Tamani lui saisit le bras et la fit pivoter si vite qu’elle trébucha et s’écrasa contre son torse. Il ne tenta pas de l’enlacer, il lui tint simplement les bras alors qu’elle était affalée sur lui.
— Ah non ? Alors, dis-moi que tu ne m’aimes pas.
La bouche de Laurel bougea, mais aucun mot n’en sortit.
— Dis-le-moi, reprit-il, la voix sèche et exigeante. Dis-moi que David est tout ce dont tu as besoin et ce que tu désires dans ta vie.
Son visage était près du sien, son souffle lui caressant le visage.
— Que tu ne penses jamais à moi quand tu l’embrasses ! Que tu ne rêves pas à moi comme je rêve à toi ! Dis-moi que tu ne m’aimes pas.
Elle leva les yeux vers lui, consumée par le désespoir. Sa bouche était sèche et brûlante et les mots qu’elle s’efforça de prononcer ne franchirent pas ses lèvres.
— Tu ne peux même pas le dire, lança-t-il, ses bras l’attirant à lui à présent au lieu de l’aider à garder son équilibre. Alors, aime-moi, Laurel. Aime-moi, tout simplement !
Le visage de Tamani affichait une envie qu’elle pouvait à peine supporter. Elle ne pouvait pas le quitter encore une fois. Pas comme cela ; pas maintenant qu’il savait. Pourquoi ne pouvait-elle pas mieux le cacher ? Pourquoi revenait-elle continuellement quand elle ne pouvait pas rester ? Cela le blessait lui, plus qu’elle se faisait du mal à elle-même. Comment pouvait-il s’agir d’amour ? L’amour n’était pas censé être égoïste.
Les lèvres de Tamani étaient sur son visage à présent, dans ses cheveux. C’était comme si chaque émotion qu’il avait étouffée, chaque tentation à laquelle il avait résisté s’étaient libérées et déversées comme une rivière rugissante. Et le courant menaçait d’emporter Laurel.
Elle s’obligea à ouvrir les yeux. Ce qu’elle ressentait n’avait pas d’importance – elle ne pouvait pas être avec lui. Pas maintenant.
Tant qu’elle vivrait dans le monde des humains, sa relation avec Tamani n’en serait qu’une à moitié. Elle détesterait cela et – même si elle savait qu’il ne serait pas d’accord – en fin de compte, il lui en voudrait pour cela. Elle n’était pas prête à quitter sa vie humaine.
Elle voulait recevoir son diplôme du lycée et décider d’elle-même ce qu’elle désirait faire ensuite. Elle avait une famille et des amis et une vit à vivre – une vie qu’elle ne pouvait pas partager avec Tamani.
Elle ferma de nouveau les yeux, chassant avec force son rêve de lui.
Ce ne serait pas un rêve ; il n’aurait pas de fin heureuse. Elle devait l’éloigner.
C’était le moment ou jamais.
— Je ne t’aime pas, murmura-t-elle, perdant presque son courage à cause de sa bouche dans son cou.
— Oui, Laurel, tu m’aimes, chuchota-t-il, ses lèvres frôlant maintenant son oreille.
— Non, reprit-elle, la voix plus forte à présent en acceptant enfin ce qui devait être fait.
Elle posa ses deux mains sur son torse et le repoussa fermement.
— Je ne t’aime pas. Je dois rentrer. Et tu ne viens pas avec moi.
Elle pivota avant de pouvoir changer d’avis.
— Laurel…
— Non ! J’ai dit que je ne t’aime pas. Je… je te connais à peine, Tamani. Une poignée d’après-midi, un tour dans un festival : cela ne produit pas de l’amour ! Insista-t-elle.
Elle ne savait pas quoi faire d’autre. Il avait raison ; le quitter en lui laissant l’espoir d’un avenir ensemble chaque fois qu’elle le voyait était cruel. Effroyablement cruel. Elle devait lui faire croire que cela ne se produirait pas. Cela serait moins douloureux à la longue.
— Je m’en vais voir David, conclut-elle, lui jetant avec violence sa dernière munition et pivotant avant qu’il ne réagisse.
Elle ne pensait pas pouvoir supporter de voir sa réaction.
Elle marcha vers la maisonnette, s’attendant à ce que Tamani stoppe à tout moment. Mais à la lisière de la forêt, il était toujours sur ses talons.
— Arrête de me suivre, siffla-t-elle.
— Je ne crois pas que tu sois en position de me donner des ordres, rétorqua-t-il laconiquement.
Ils passèrent la ligne des arbres ensemble, Tamani juste derrière l’épaule gauche de Laurel. Les yeux de Laurel croisèrent immédiatement ceux de David… une seconde avant qu’il n’aperçoive Tamani. Ses yeux revinrent à elle de nouveau, remplis de douleur et d’accusations. Il descendit rapidement du coffre de la Sentra et se dirigea vers sa propre voiture.
— David ! cria Laurel, levant le pied pour courir.
La main de Tamani s’abattit sur son poignet. Il la fit pivoter et avant qu’elle ne puisse protester, les lèvres de Tamani tombèrent avec force sur les siennes, son baiser passionné et exigeant et plein d’une chaleur qui emporta Laurel pendant deux secondes avant qu’elle ne le repousse violemment.
Elle regarda vers David, espérant qu’il ne l’avait pas vu.
Son regard était fixé droit sur eux.
Les yeux de David et de Tamani se croisèrent et leurs regards restèrent rivés l’un à l’autre.
Tamani tenait encore le poignet de Laurel. Elle tira pour se dégager.
— Va-t’en, dit-elle. Je veux que tu partes !
Sa voix commençait à trembler.
— Je suis sérieuse ! hurla-t-elle. Va-t’en !
Son visage était tendu et sa mâchoire se serra alors qu’il fixait Laurel. Elle pouvait à peine supporter de regarder ses yeux. Ils étaient comme un océan de trahison. Ils plongeaient en elle, cherchant le plus petit signe qu’elle ne pensait pas ce qu’elle affirmait. Cette étincelle d’espoir qui semblait ne jamais s’éteindre.
Elle refusa de baisser les yeux. C’était mieux ainsi. Un jour, peut-être… elle ne pouvait même pas y songer. Il devait partir. Il devait s’en aller. C’était injuste de continuer ainsi.
Je t’en prie, pars, pensa-t-elle avec désespoir. S’il te plaît, va-t’en avant que je ne change d’avis. Pars.
Comme s’il entendait ses paroles silencieuses, Tamani pivota sans un mot et traversa les arbres en silence, disparaissant sous ses yeux.
Laurel était incapable de détourner les yeux de l’endroit où Tamani se tenait juste une seconde auparavant. Elle savait qu’elle le devait. Plus elle attendait, plus les choses seraient difficiles avec David.
Elle s’arracha à cette vision. David était déjà à la portière de sa voiture.
— David ! cria-t-elle. David, attends !
Il s’arrêta, mais ne se tourna pas vers elle.
— David, ne t’en vas pas.
— Pourquoi pas ? demanda-t-il, ses yeux rivés sur le siège du conducteur, refusant de la regarder en face. J’ai vu ce qui s’est passé. Tout ce qu’il me reste, c’est à imaginer ce que je n’ai pas vu.
— Ce n’était pas comme cela, dit-elle, la culpabilité et la honte résonnant en elle.
— Ah non ?
Il pivota et la regarda en face à présent, sans expression. S’il avait eu l’air triste, ou même en colère, elle aurait pu l’accepter.
Mais son visage était neutre, comme s’il s’en foutait.
— Non, reprit-elle, mais d’une voix basse maintenant.
— Alors comment était-ce, Laurel ? Parce que je vais te dire de quoi les choses avaient l’air de mon point de vue. Tu m’as menti pour venir ici et le voir, pour être avec lui !
— Je n’ai pas menti, protesta-t-elle faiblement.
— Tu n’as pas prononcé les mots, mais tu as menti quand même.
Il marqua une pause, la mâchoire serrée, les mains raides sur la portière de la voiture.
— Je te faisais confiance, Laurel. Je t’ai toujours fait confiance. Et le simple fait de ne pas m’avoir menti directement ne signifie pas que tu n’as pas brisé ma confiance.
Il la regarda.
— J’ai quitté le travail plus tôt parce que je m’inquiétais pour toi.
J’avais peur pour toi. Et quand ta mère m’a informé que tu étais chez Chelsea, je lui ai téléphoné et elle ignorait totalement de quoi je parlais. Et sais-tu quelle a été ma prochaine pensée ? Que tu étais morte, Laurel ! J’ai pensé que tu étais morte !
Laurel se souvint avoir eu les mêmes pensées à propos de David lundi et elle baissa les yeux sur ses pieds, honteuse.
— Et ensuite j’ai compris qu’il y avait un endroit – une personne, reprit-il avec mépris, que tu viendrais voir en cachette de moi. Et je viens ici pour vérifier que tu es en sécurité et je te trouve en train de l’embrasser !
— Je ne l’embrassais pas ! hurla Laurel. Il m’embrassait.
David garda le silence, les muscles de sa mâchoire se contractant furieusement.
— Peut-être cette fois, dit-il d’une voix dure comme l’acier. Mais j’ai vu la façon dont il t’embrassait et je te l’assure, ce n’était pas la première fois. Vas-y, nie-le. Je t’écoute.
Elle regarda le sol, la voiture, les arbres, partout sauf dans ses yeux accusateurs.
— Je le savais. Je le savais !
Il se glissa sur le siège du conducteur et claqua la portière, son moteur démarrant immédiatement. Il recula rapidement, manquant de près Laurel, qui restait figée au sol, incapable de bouger. Il baissa la vitre.
— Je ne veux plus…
Il marqua une pause, le seul signe de faiblesse qu’il montra de toute la conversation.
— Je ne veux plus te voir pendant un moment. Ne m’appelle pas.
Quand… si je décide que je suis prêt, je saurai où te trouver.
Laurel le regarda s’éloigner, laissant enfin libre cours à ses larmes. Elle jeta un coup d’œil d’une seconde vers les arbres, mais il n’y avait rien là pour elle non plus. Elle monta dans sa voiture et laissa tomber son front sur le volant, sanglotant. Comment tout avait-il pu si mal tourner ?
Laurel était assise sur son lit, sa guitare sur les cuisses, observant les ombres qui dansaient au plafond. Elle était installée là depuis deux heures, pendant que le soleil se couchait et que la pièce s’assombrissait, pinçant au hasard des cordes mélancoliques qui – peu importe ses efforts contraires – lui rappelaient étrangement la musique qu’elle avait entendue plus tôt ce jour-là à Avalon.
Ce matin-là, sa vie était bonne – non, formidable ! Et maintenant ? Elle avait tout détruit.
Et c’était sa propre faute. Elle avait passé trop de temps à ménager la chèvre et le chou. Elle avait permis à son attirance pour Tamani d’échapper à son contrôle. Cela ne suffisait pas d’être fidèle à David seulement physiquement, il méritait sa fidélité émotionnelle également.
Elle songea à l’expression sur le visage de Tamani quand elle lui avait déclaré ne pas l’aimer ; c’était injuste pour lui aussi. Elle avait blessé tout le monde et maintenant il y avait des conséquences.
La pensée de vivre le reste de sa vie – même le reste de la semaine – sans David la faisait souffrir partout dans son corps. Elle s’imagina le voir avec une autre fille. Embrasser une autre personne comme Tamani l’avait embrassée, elle, aujourd’hui. Elle gémit et roula sur le côté, laissant sa guitare glisser sur l’édredon à côté d’elle. Ce serait comme la fin du monde. Elle ne pouvait pas laisser cela arriver. Il devait y avoir une façon d’arranger les choses.
Cependant, deux heures de réflexions ne lui avaient apporté aucune idée. Elle devait simplement espérer qu’il lui pardonnerait.
Avec le temps.
Elle essaya de glisser dans le sommeil. C’était habituellement facile, une fois le soleil couché, mais tout ce qu’elle réussissait à faire ce soir était de s’asseoir et d’observer les chiffres sur son réveille-matin changer pendant que l’obscurité tombait sur elle.
20 h 22
20 h 23
20 h 24
Laurel se rendit au rez-de-chaussée. Ses parents effectuaient toujours le relevé de leurs inventaires le samedi soir et ils ne reviendraient pas avant une autre heure ou deux au plus tôt. Elle ouvrit la porte du réfrigérateur, plus par habitude que par appétit : elle ne pourrait jamais manger dans un moment pareil. Elle referma le réfrigérateur et elle se permit de blâmer un peu David et Tamani.
Elle ne voulait pas les blesser, elle désirait qu’ils soient heureux tous les deux. Ils occupaient une place importante dans sa vie. Pourquoi insistaient-ils toujours pour qu’elle choisisse entre eux ?
Un mouvement dans le jardin attira son attention, mais avant qu’elle ne puisse se concentrer dessus, la fenêtre panoramique éclata, envoyant des éclats de verre ricocher sur le sol pendant que son cri résonnait dans l’air et qu’elle se laissait tomber accroupie en se protégeant le visage des mains. Mais dès qu’elle ferma la bouche, un silence de mort retomba dans la pièce ; plus de cris, plus de pierres, pas même des pas.
Laurel regarda les éclats de verre jonchant le sol de la cuisine.
Ses yeux s’arrêtèrent sur une grosse roche qui avait dû entrer par la fenêtre.
Elle était emballée dans un morceau de papier.
Laurel tendit des mains tremblantes et retira la feuille. Son souffle resta coincé dans sa gorge quand elle lut le gribouillage rouge vif.
Elle fut sur pied en un instant, courant vers la porte avant.
Quand elle l’ouvrit, elle marqua une pause, scrutant son jardin. Il semblait calme – serein, même – sous la lueur des lampadaires.
Laurel examina chaque forme dans l’ombre, cherchant de minuscules tressaillements.
Rien ne bougeait.
Elle regarda sa voiture et de nouveau le papier dans sa main.
Tamani avait raison – elle essayait toujours de tout faire seule. Il était temps d’admettre qu’elle avait besoin d’aide. Elle pivota et commença à courir, non vers sa voiture, mais vers la lisière du bois derrière sa maison. Elle s’arrêta au bord de la forêt, ne sachant pas où exactement s’arrêtait la barrière de protection. Après un moment d’hésitation, elle se mit à crier :
— Au secours ! S’il vous plaît ! J’ai besoin d’aide.
Elle courut le long de la ligne des arbres jusqu’à l’autre côté de son terrain, hurlant ses appels à l’aide encore et encore. Cependant, elle n’entendit rien d’autre que ses propres mots résonner.
— S’il vous plaît ! hurla-t-elle une autre fois, sachant qu’elle ne recevrait pas de réponse.
Les sentinelles étaient parties. Elle ignorait où et quand ; mais si une seule fée avait été dans ces bois, elle était certaine qu’elle aurait répondu à son appel. Elle était seule.
Le désespoir l’envahit subitement et elle pressa les paumes de ses mains sur ses yeux, s’obligeant à ne pas pleurer. La dernière chose qu’elle devait se permettre, c’était de s’effondrer. Elle courut à sa voiture, se glissant sur le siège du conducteur, et claqua la portière. Elle fixa la maison vide et obscure. Elle l’avait protégée pendant des mois ; même avant d’être au courant à propos des sentinelles et des puissantes protections. Mais elle ne pouvait pas rester. Elle devait quitter cette protection. Elle savait que c’était ce que les trolls voulaient. Mais elle n’avait pas le choix ; il y avait trop à perdre. Ses mains tremblaient, mais elle réussit à forcer la clé dans le contact et à démarrer le moteur, recula à toute vitesse, ses pneus crissant sur l’asphalte alors qu’elle passait brusquement en première vitesse, faisant bondir la voiture, et gardait un œil méfiant dans le rétroviseur.
Elle eut l’impression que la route d’un kilomètre qui la séparait de la maison de David lui prit une éternité. Laurel se gara devant et examina la structure familière qui était pratiquement un deuxième foyer pour elle.
Elle s’y sentait étrangère à présent.
Avant de pouvoir se convaincre de repartir, elle sortit de la voiture et courut sur le trottoir devant la porte d’entrée. Elle entendit la sonnette résonner dans le salon et essaya de se rappeler quand elle avait sonné chez David la dernière fois. Cela semblait si formel, si inutile.
La mère de David ouvrit la porte.
— Laurel, lança-t-elle joyeusement.
Mais son sourire s’évanouit quand elle vit le visage de la jeune fille.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? Est-ce que tu vas bien ?
— Puis-je voir David ?
La mère de David parut perplexe.
— Bien sûr, entre.
— Je vais rester dehors, merci, murmura Laurel, les yeux sur le sol.
— D’accord, répondit la mère de David avec hésitation. Je vais le chercher.
Ce fut une longue attente avant que la porte ne s’ouvrît de nouveau. Laurel leva les yeux, craintive que ce soit seulement la mère de David. Mais c’était lui, le visage de pierre, les yeux étincelants. Il s’arrêta, prit une profonde respiration et sortit sur la véranda, refermant la porte derrière lui.
— Ne fais pas cela, Laurel. Je suis ici seulement parce que ma mère est à la maison et qu’elle ne sait pas encore ce qui s’est passé. Mais tu dois…
— Barnes a Chelsea.
La colère disparut instantanément des yeux de David.
— Quoi !
Laurel lui remit la note.
— Au phare. Je sais que tu es furieux contre moi, mais…
Sa voix se cassa, sa respiration étant sèche et douloureuse, mais elle repoussa sa peur avec force.
— C’est plus important que nous. Plus important que ceci. J’ai besoin de toi, David. Je ne peux pas le faire seule.
— Qu’en est-il de tes sentinelles ? demanda David, sur ses gardes.
— Elles ne sont pas là ! Je les ai appelées. Elles sont parties.
David hésita, puis hocha la tête et s’esquiva rapidement dans la maison. Elle l’entendit crier quelque chose à sa mère, puis il revint sur la véranda, traînant son sac à dos en enfilant son manteau.
— Partons.
— Peux-tu conduire ? demanda Laurel. J’ai… il y a quelque chose que je dois faire.
Après avoir attrapé son propre sac à dos dans sa voiture, elle rejoignit David dans la sienne.
— Nous devons aller chercher Tamani, déclara David d’une voix dure.
Laurel secouait déjà la tête.
— Laurel, je me fous de toi et de lui en ce moment.
Il constitue notre meilleure chance !
— Ce n’est pas cela ; nous n’avons pas le temps. Si je ne suis pas au phare d’ici vingt et une heures, il va tuer Chelsea. Nous avons – elle jeta un œil sur l’horloge de la voiture – vingt-cinq minutes.
— Alors, rends-toi au phare et je vais aller à la terre et le ramener.
— Le temps manque, David !
— Alors quoi ! hurla-t-il, sa voix frustrée remplissant la voiture.
— Je peux y arriver, déclara Laurel, espérant dire la vérité. Mais d’abord, je dois m’arrêter à la boutique de ma mère.
***
Laurel frappa à grands coups sur les portes d’entrée de Cure Naturelle jusqu’à ce que sa mère sorte de l’arrière-boutique, où elle s’occupait toujours de terminer ses tâches administratives.
— Laurel, que dia…
— Maman, j’ai besoin de racine de sassafras séchée, de graines organiques d’hibiscus et d’huile essentielle d’ylang-ylang mélangée à de l’eau et non de l’alcool. J’en ai besoin tout de suite et j’ai besoin que tu ne me poses pas de questions.
— Laurel…
— Je n’ai pas une seule minute à perdre, maman. Je promets de tout te dire – tout – quand je rentrerai à la maison, mais en ce moment je te supplie de simplement me faire confiance.
— Mais où vas-tu…
— Maman, dit Laurel en saisissant les deux mains de sa mère. Je t’en prie ; écoute-moi. Écoute vraiment. Être une fée n’est pas uniquement une question de porter une fleur dans son dos. Les fées ont des ennemis. Des ennemis puissants, et si je n’obtiens pas ces ingrédients de toi et que je ne pars pas m’occuper d’eux tout de suite, des gens mourrons. Aide-moi. J’ai besoin que tu m’aides, supplia-t-elle.
Sa mère resta perplexe un moment avant de hocher lentement la tête.
— Je comprends qu’il ne s’agit pas d’une chose pour cette bonne vieille police humaine ?
Des larmes s’accumulèrent dans les yeux de Laurel ; elle ne savait même pas quoi répondre. Elle n’avait pas le temps de discuter.
— D’accord, reprit sa mère avec détermination, parcourant une allée et scrutant les petites bouteilles alignées de chaque côté.
Elle retira rapidement les ingrédients des tablettes et les remit à Laurel.
— Merci, dit Laurel, et elle esquissa un pas pour partir.
Sa mère l’arrêta d’une main ferme sur l’épaule. Laurel se tourna quand sa mère la prit dans ses bras et la serra très fort.
— Je t’aime, murmura-t-elle. S’il te plaît, sois prudente.
Laurel hocha la tête contre l’épaule de sa mère.
— Je t’aime aussi.
Elle marqua une pause, puis ajouta :
— Et si quelque chose arrive, ne vends pas la terre, promis ?
Les yeux de sa mère s’emplirent de crainte.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Mais Laurel ne pouvait plus s’attarder. Elle essaya de ne pas entendre le désespoir dans la voix de sa mère pendant qu’elle la suivait à la porte.
— Laurel ?
Laurel avait déjà passé la porte et se glissait dans la voiture de David.
— Démarre, ordonna-t-elle en s’efforçant de bloquer le dernier cri de sa mère.
— Laurel !
Laurel regarda derrière elle, fixant ses yeux sur le visage blême de sa mère alors que son père sortait en trombe de la librairie ; ses deux parents observaient fixement la voiture qui s’éloignait.